Mara Goyet, auteur de « Jules Ferry et l’enfant sauvage » sorti à la rentrée, débat très librement de son expérience de professeur.
Mara Goyet, professeur d’histoire-géographie, porte un regard affûté et plein d’humour sur l’école et ses travers. Le premier de ses livres, « Collèges de France », publié en 2005, avait pris de court le monde un peu confit de l’Education nationale. Avec son écriture inventive et sa manière de coller aux absurdités du système, il détonait.
La jeune femme a poursuivi son travail de sape dans « Tombeau pour le collège » paru en 2008, puis dans « Collège brutal » en 2012. Le nouvel opus paru à la rentrée, « Jules Ferry et l’enfant sauvage. Sauver le collège » (1), est une nouvelle dénonciation des faux-semblants et des prétentions à l’oeuvre dans l’Education nationale.
Votre livre est une plongée singulière dans le quotidien de la classe. Cette chronique est aussi une charge contre une machine éducative qui mouline souvent à vide, au détriment des élèves…
– Il y a beaucoup de livres sur l’école mais on est encore trop peu à décrire précisément nos cours. Le milieu de la classe est soigneusement évité. On se focalise sur la transmission pure, sur les grands débats et on néglige les à-côtés, comme si ce n’était pas intéressant. Or c’est la description de ce qui se passe dans la classe, des imprévus, des accidents, de nos réactions, de celles des élèves, le tout associé à la nécessité de faire le programme, qui est la clé de toute solution.
On est loin de la figure de l’enseignant en majesté…
– Cette figure-là nous encombre ! Elle fait peser une énorme chape d’interdits dont on met des années à se délester. Au départ, c’est régulateur. A terme, la rigidité nous guette. J’ai mis du temps à comprendre qu’en voulant être un « beau prof », en craignant de s’abaisser, en ayant peur de mettre l’élève au centre du système éducatif par crainte de se voir transformé en larbin ou en bonne d’enfant, on cherche en réalité à sauver, non l’école, mais soi-même. En fait, il faut devenir un « bon prof ». On est là pour servir, pour être efficace. C’est là qu’est notre grandeur.
Vous évoquez une déshumanisation de la relation entre l’enseignant et l’élève. Où la voyez-vous ?
– Nos débats sur l’éducation parlent toujours d’un élève abstrait. Ils sont très loin des élèves incarnés. Or le système est concrètement dur pour beaucoup d’entre eux. Il manque incroyablement de réactivité. On laisse des enfants souffrir pendant des années, avoir 2 de moyenne du CP jusqu’à la troisième, en saupoudrant du soutien. Et finalement, 150.000 jeunes disparaissent chaque année dans la nature. Un jour, ce sont nos élèves ; le lendemain, ils ne représentent plus rien. C’est irresponsable et cruel.
Pour enrayer cet échec, le ministère promeut un meilleur accueil des tout-petits. Qu’en pensez-vous ?
– Tout dépend, encore une fois, de ce qui se passe dans la classe. Le but de l’école est de transmettre, d’expliquer, de faire en sorte que les élèves comprennent, qu’ils progressent. Et de vérifier constamment, continûment, qu’ils ont vraiment appris. Or on ne le fait pas. On ne se retourne jamais, on avance. Lentement. Quand arrive un examen, c’est trop tard. On n’agit pas de façon véritablement responsable avec les enfants qui nous sont confiés. Ou plutôt, on ne sait pas où se situe notre responsabilité, on n’a pas de moyen de l’évaluer. Etre sérieux, ça ne suffit pas.
Quant à la responsabilité de l’institution… nos ministres ne « sentent » pas le terrain. Sous Sarkozy, le corps enseignant a été assommé. Avec Vincent Peillon, ce n’était pas le Grand Soir, mais on avait le plaisir d’avoir quelqu’un qui s’y connaissait, qui était bienveillant. Mais enfin, l’omniprésence des rythmes scolaires, quel énorme plantage ! Ou encore les « ABCD de l’égalité »… Montrer Louis XIV avec des noeuds dans les cheveux, franchement ! Cet enseignement n’était pas idéologiquement dangereux, il était pédagogiquement inepte ! Il faut arrêter avec les kits, les mallettes, on ne joue pas à la dînette, on enseigne.
De grandes lois visent tout de même à améliorer le système : en 2005, l’école au service de la réussite de tous les élèves. Ou encore en 2013, la refondation de l’école !
– Il y a toujours ce décalage entre les bonnes intentions et la réalité. On nous parle du plan numérique, par exemple. Mais dans les classes, il y a des problèmes de luminosité faute de rideaux efficaces. On ne voit pas le tableau blanc interactif ! Le numérique d’accord, mais avec des stores ! Ca pourrait être un bon slogan. De la même manière, on nous embarrasse de protocoles et de lubies. En cinquième, en géographie, il y a, par exemple, la manie de l’étude de cas. On part d’un cas précis et on finit par arriver, péniblement, au coeur du sujet. C’est atrocement lent, répétitif. Au bout de cinq minutes, les élèves ont tous compris, par exemple, que l’on est moins bien soigné au Burkina Faso qu’à Neuilly… On perd du temps par esprit de sérieux.
Vous revenez souvent sur cette idée que l’école ne prend pas en compte les élèves tels qu’ils sont…
– Elle ne se préoccupe ni des élèves ni du monde dans lequel ils vivent. On fait semblant d’affronter les défis du collège unique, mais au fond, on n’a pas changé notre manière de travailler. On pense qu’il suffit de faire un cours, une fois, très bien, dans le silence, avec beaucoup d’autorité, d’érudition, et même peut-être, de capacité à transmettre, pour que ça marche. Mais les élèves ne sont pas des pages blanches. Ils ont des moyens de s’informer à eux, un univers plein de parodies, de réflexes, de représentations. Le fait qu’on ne tienne pas compte des gens qu’on a en face de nous n’est pas un signe d’exigence ou de pureté pédagogique : c’est mufle et scandaleux.
Quelles pistes proposez-vous ?
– Chercher à être efficace, sans a priori. Accepter que la classe n’est pas un milieu chimiquement pur, que le cours est fait d’incidents qu’il faut exploiter, pas nier, sinon c’est le ressentiment assuré… Il faut constamment réactiver ce que les élèves ont acquis, gagner en cohérence. Revenir aux cadres. En histoire, ma matière, ce sera la chronologie, par exemple. Mais aussi créer des maillons intermédiaires entre le savoir et la culture des élèves, sinon tout est vite oublié, on construit sur du sable. Il faut se libérer.
Je travaille sur des films en éducation civique. Fainéante ? Non. Si un film fait mieux passer une idée que moi, je ne vois pas pourquoi je m’en priverais. Il faut être pragmatique : on pleurniche parce que les élèves ne bossent pas à la maison. Eh bien, s’ils ne travaillent pas chez eux, on les fait réviser en classe. Bonne nouvelle, les élèves adorent ça, les révisions, les quiz. Le but c’est qu’ils apprennent, non ?
Ils passent déjà huit heures par jour au collège. Ne pensez-vous pas que cela devrait suffire, comme temps d’étude quotidien !
– Dominique Borne, le doyen de l’Inspection générale en histoire-géographie, quand j’étais stagiaire, nous avait dit : « Le travail, c’est en classe. L’égalité, c’est en classe. L’inégalité, c’est le travail à la maison. » J’en tiens toujours compte.
Vous rêvez de recruter différemment les futurs professeurs ?
– Au Capes, on a une épreuve qui est censée ressembler à un cours, mais on la passe devant des membres du jury qui viennent de bouffer, qui sont en train de digérer, dans une salle où il fait 35 degrés… Ca ne ressemble qu’en partie à une classe. Pour imaginer ce que le prof va donner en situation, il manque l’alerte incendie, une mouche qui tape au carreau, un marteau-piqueur dans la rue, des questions absurdes, une trousse qui tombe.
Ou un élève agressif, qui menace le bon ordre de la classe ?
– Un chahut ? La plupart des enseignants n’en auront jamais. Mais cela se travaille. On a tous des techniques de désamorçage, parfois idiotes, arbitraires : pour ma part, les élèves n’entrent pas dans la classe avec les mains dans les poches, ils me disent bonjour en me regardant, et ils attendent debout derrière leur bureau. Avec les rituels de début de cours, et de fin de cours, le délire au milieu du cours devient de moins en moins pensable…
Jugez-vous que ce soit bien d’envoyer les jeunes professeurs en ZEP ?
– J’exerce maintenant dans un collège du centre de Paris mais toute mon expérience me vient des 11 années que j’ai passées en ZEP (zone d’éducation prioritaire). C’est la meilleure école du monde. D’ailleurs, je ne vois pas d’autre solution. Personne ne veut y aller. Je ne pense pas vouloir y retourner en tout cas. Pas sûr, d’ailleurs, qu’on y soit meilleur à 40 ans qu’à 25. Mais c’est incroyablement formateur. Avec la ZEP, on sait tout faire. Le problème, c’est qu’il ne devrait pas y avoir des endroits où il est si dur d’enseigner. Il faudrait affronter la question pour de bon.
Propos recueillis par Caroline Brizard – L’Obs
(1) « Jules Ferry et l’enfant sauvage. Sauver le collège », par Mara Goyet, Flammarion, 210 p., 18 euros.
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