Dans son rapport publié le 3 octobre sur l’Education et le Numérique, le Conseil national du numérique (CNNum) propose 8 axes pour bâtir une école créative et juste dans un monde numérique
Dans la lignée de ses travaux sur l’inclusion numérique, le Conseil national du numérique a constitué fin 2013 un groupe de travail dédié à l’éducation dans une société numérique, composé de Sophie Pène, membre pilote, Serge Abiteboul, Christine Balagué, Ludovic Blecher, Michel Briand, Cyril Garcia, Francis Jutandt, Daniel Kaplan, Pascale Luciani-Boyer, Valérie Peugeot, Nathalie Pujo, Bernard Stiegler, Brigitte Vallée.
Ce rapport est le fruit de longs mois de travail au cours desquels plus de cent personnes ont été rencontrées – à l’occasion de journées contributives, de tables rondes, etc., de nombreux rapports ont été parcourus, de riches échanges et d’intenses réflexions ont eu lieu. De ces efforts d’observation et de compréhension, il reste deux constats essentiels.
Non, l’Education nationale n’est pas le lieu de tous les conservatismes. La France bénéficie d’une extraordinaire communauté éducative, savante, imaginative. Dans les classes, des élèves sont attentifs à des professeurs qui cherchent sans relâche les meilleurs chemins, des exercices imaginatifs motivent leur désir d’apprendre. Le numérique contribue à mettre en lumière ces dynamiques et ses atouts.
Et pourtant, le système scolaire ne va pas bien. Fondé sur l’égalité, il produit plus d’inégalités scolaires que la plupart des pays de l’OCDE. Valorisant la réussite, il abandonne 20% des élèves à l’échec. Plutôt satisfait de lui-même, il remarque peu que beaucoup d’élèves perdent leur motivation à apprendre. Pourquoi un tel contraste entre l’investissement passionné des professeurs et la réussite modérée du système ?
Pour Benoît THIEULIN : “Si le numérique ne constitue pas la réponse à tous les maux, c’est un atout dont il faut s’emparer pour aider l’école à reprendre le flambeau de l’égalité des chances et améliorer l’accès de chacun au savoir dans une logique d’empowerment des élèves comme des professeurs.”
Pour Sophie PENE, “Quand on dit « numérique », la plupart des gens voient un ordinateur. Il faut aussi y voir un changement dans les savoirs, l’avènement d’une société de la question plutôt que de la réponse. Avec une école qui propose une organisation plus horizontale, plus coopérative, plus solidaire, plus créative.”
Avec ce rapport, l’ambition du Conseil est de décrire cette vision de l’école d’un monde numérique en devenir, affrontant l’épreuve d’une société en pleine mutation, et de proposer des « chemins praticables » pour y parvenir. Les recommandations qu’il porte ont été pensées comme des pistes d’actions de court et de moyen termes pour redonner du sens à l’Ecole dans la transition numérique.
Voté à l’unanimité, le rapport du CNNum avance plusieurs pistes pour bâtir ensemble “l’école créative et juste du 21e siècle”, autour de deux grands axes : Que faut-il enseigner et comment dans l’école de la société numérique ? et Comment redessiner un tissu éducatif ?
1. Enseigner l’informatique
Il est question d’enseigner la pensée informatique pour mieux comprendre le monde numérique qui nous entoure et être pleinement un citoyen actif dans la société ; mais aussi de profiter de l’enseignement de l’informatique pour introduire de nouveaux modes d’apprentissage à travers des expériences, en mode projet, par essai-erreur. La condition est la formation d’un corps d’enseignants en informatique par la création d’un Capes et d’une Agrégation d’informatique.
2. Installer à l’école la littératie de l’âge numérique
La littératie c’est non seulement des savoirs, des compétences mais aussi des méthodes qui font qu’un individu peut être acteur de sa vie dans une société numérique. Ancrer l’école dans cette dynamique, c’est inviter les élèves à participer à une culture et à une économie, fondée sur l’échange des savoirs, la coopération, la création.
3. Oser le bac HN Humanités numériques
Un bac qui reflète l’aventure de la jeunesse, avec la création numérique, le design mais aussi la découverte des big data, de la datavisualisation, des métiers informatiques et créatifs. Les lycées pourraient expérimenter très vite ce bac qui revitaliserait les études secondaires.
4. Concevoir l’école en réseau dans son territoire
Il faut changer les établissements avec un management réel, une vie d’équipe, des projets, de l’interdisciplinarité. Avancer en confiance avec les collectivités locales, le tissu économique local, les associations éducatives, les parents. L’école en réseau, c’est une nouvelle alliance éducative.
5. Lancer un vaste plan de recherche pour comprendre les mutations du savoir et éclairer les politiques publiques
Via une politique volontariste, 500 thèses nouvelles seraient lancées chaque année sur des sujets interdisciplinaires pour mieux décrypter les changements fondamentaux induits par la société numérique sur la transmission des savoirs et les méthodes d’apprentissage.
6. Mettre en place un cadre de confiance pour l’innovation
Toutes les parties prenantes (éditeurs scolaires, pure players du numérique, constructeurs, éditeurs logiciels, pôles de compétitivité) ont besoin de ce cadre pour innover et tester ensemble, avec les établissements et les collectivités locales. Il s’agit de partager des standards et de donner les cadres
d’utilisation des données de l’éducation, de valoriser par l’indexation le référencement des ressources pédagogiques partagées, de privilégier des écosystèmes riches de services et de fonctionnalités pour stimuler le désir d’apprendre et de travailler en groupe, enfin d’encourager la co-création (living labs, expérimentations).
7. Profiter du dynamisme des startups françaises pour relancer notre soft power
L’éducation numérique, c’est aussi un nouveau champ de l’économie, l’Ed- tech. L’économie numérique a commencé à réorganiser l’éducation de l’extérieur avec des initiatives disruptives comme l’école 42 , les Moocs, la Khan Academy. Des méthodes d’apprentissage innovantes fondées sur des technologies émergent (adaptive learning, data driven education, …).
Pour Benoît THIEULIN : “Il faut maintenant accepter la confrontation avec ces nouvelles dynamiques et ces nouveaux acteurs. Cela conditionne une présence des cultures francophones dans l’espace numérique de la formation au 21e siècle.”
8. Ecouter les professeurs pour construire ensemble l’école de la société numérique
Aujourd’hui on achète des équipements et on demande aux professeurs de s’y adapter. Pour développer le numérique scolaire, il faut changer de méthode, rompre avec la logique de l’offre et de l’assignation, étudier avec les professeurs leurs besoins réels, pour qu’ils travaillent avec aisance, explorant leur liberté pédagogique et conservent le temps de la relation avec les élèves.
Pour Benoît THIEULIN, “Nous allons vers un véritable design des formations, c’est-à-dire une conception de services numériques au plus proche des élèves. L’école acteur majeur du partage des connaissances via le numérique, c’est une chance pour une industrie vraiment créative. Professeurs et entrepreneurs peuvent “pousser” ensemble un véritable web de l’apprendre.”
Sophie PENE conclut : ‘“Notre éducation, notre école, sont embarquées dans la transition numérique. Ce chantier, vaste et complexe, il nous incombe de le conduire collectivement. C’est pourquoi ce rapport est confié à tous ceux qui souhaitent « bâtir l’école créative et juste dans un monde numérique».”